(Le sens des
mots et la valeur des choses…)
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En tant que professionnel, une question essentielle et que l'actualité met
souvent en lumière à propos des automobiles classiques, nous est souvent
soumise.
Habitués à estimer, acheter, vendre des véhicules anciens, de collection ou
de prestige, collectionneur nous-mêmes, nous observons comme beaucoup de nos
clients qu'un malentendu s’est s'installé dans certains esprits: il s'agit
d’une confusion entre les véhicules authentiques d'une part, et ceux qui ont
été reconstruits, rénovés ou refaits.
L'article ci-dessous, fruit de notre expérience, mais aussi de très
nombreux échanges de vues avec des experts en France et ailleurs, des
collectionneurs, et des professionnels, expose la situation en allant au coeur
de ce sujet, et propose des repères simples et clairs permettant d'apporter des
éléments de réponse.
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D'où vient que la copie d'un chef-d'oeuvre, même
absolument parfaite, ne vaille pas l'original ?
Pourtant, les nuances de couleur, les traces du pinceau,
le relief de la peinture peuvent être aujourd'hui reproduits "à
l'identique" par de bons professionnels, à un tel point de fidélité que la
plupart des connaisseurs se laissent prendre. Chacun connaît ces affaires de
faux tableaux authentifiés par des experts, ou achetés par des musées, et dont
la véritable nature n'est découverte que plus tard.
A quoi tient donc cette différence, parfois
imperceptible, mais irréfutable, qui existe et persiste à travers les doutes et
faux-semblants, et qui porte avec elle cette charge de vérité, d'émotion ?
Il s'agit là de l'irréductible, de l'immense distance qui
sépare l'objet même (par nature
unique et irremplaçable) créé par un maître, d'un objet d’apparence identique, mais qui n'est qu'une reproduction.
Différence non pas d'apparence, mais d'essence...
Certes, une belle reproduction d'un chef-d'oeuvre est un
plaisir à admirer. Elle restitue pour une part - mais pour une part seulement - l'intérêt, la beauté et l’émotion
de l'original.
Ainsi des tableaux, ainsi des sculptures, ainsi des
automobiles anciennes.
Pour prendre un exemple simple, nul ne songe à comparer
la valeur ni l'intérêt historique d'un exemplaire de Jaguar Type D, avec les
qualités, aussi grandes soient-elles, d'une Lynx, réplique fidèle, mais de
fabrication contemporaine.
En effet, seule la "Type D" d'origine bénéficie
d'un historique, d'une authenticité,
bref de cette vérité recherchée par
le connaisseur. Ce que la "Lynx" restitue, ce sont les lignes, les
volumes, voire certaines sensations de conduite mais seulement cela... Pour des modèles extrêmement rares et
recherchés, inaccessibles, certaines répliques soignées, techniquement irréprochables
(mécanique, matérieux et technique de construction), possèdent une valeur
réelle qui peut même augmenter avec le temps, mais elle doit absolument et
sans ambiguïté être identifiée comme copie ou reproduction.
Entre ces deux points extrêmes (l'authentique automobile
d'époque et une réplique « parfaite », mais contemporaine), se trouve
toute une échelle de gradations intermédiaires, progressive et subtile, et dont
nous commençons à perdre dangereusement la notion.
Où s'arrête l'authentique
et où commence la reproduction (ou réplique), voire le faux ?
Voilà une question cruciale, essentielle pour le
collectionneur et pourtant très souvent occultée, peut-être parce qu'elle
dérange certains.
Voilà quelques années, un salon Rétromobile nous offrait une claire illustration de ce problème :
qui n'a pas remarqué (avec quelqu'embarras, voire indignation, pour les plus
passionnés), cette Bugatti à moitié "restaurée", exhibée comme une
performance, une démonstration de savoir-faire ? Elle côtoyait bien sûr, comme
chaque année, de nombreuses voitures "anciennes" entièrement
repeintes, re-chromées, avec sellerie refaite à neuf, etc.,
En contrepoint, la collection S. Pozzoli, composée
d'automobiles entièrement authentiques,
défiait le brillant, le "refait" : pas de peinture neuve, pas de
caoutchoucs changés, pas un boulon remplacé, bref des autos strictement telles que le temps les a faites depuis
l’époque de leur fabrication.
Où est donc la vérité ? La réponse est claire.
On ne montre pas dans un musée un vase antique repeint, pas plus un bronze décapé de
neuf. Si l'on restaure un tableau, on limite absolument l'intervention au
strict nécessaire, le travail devant rester aussi discret que possible.
Nul ne songerait, sur un manuscrit ancien, à repasser à
l'encre noire les mots tracés par un auteur célèbre, ni à blanchir le papier au
chlore pour lui rendre l'aspect du neuf. Car l’histoire de l'objet est inscrite dans ces marques du temps :
griffures, usure, jaunissement des teintes, sont autant de témoignages - même
si elles ne sont pas les seules - de
l'authenticité d'une pièce de collection. Certes, le contenu d'un manuscrit, la
forme d'un vase sont riches d'enseignements, admirables, mais la valeur historique, la force
émotionnelle, la vérité de l'objet résident bien pour l'essentiel dans ce qu'il
porte comme traces de son histoire.
Ainsi, quelle proportion de vérité trouve-t-on dans une
Delage repeinte de neuf, aux chromes fraîchement refaits, à la sellerie
changée pour une peausserie neuve, aux caoutchouc, aux pneus, aux durits,
fabriqués aujourd'hui en copiant les modèles d'autrefois ?
Un écrou de 12 est un écrou de 12, diront certains,
quelle différence ? Et puis, ne changeait-on pas régulièrement les pneus,
garnitures, canalisations sur ces modèles à l'époque de leur gloire ?
Certes, mais les pièces changées ou remplacées à l'époque restent des pièces d'époque.
Un pneu vulcanisé en 1998, même avec les dimensions et
sculptures de 1930 reste un pneu de 1998. Il n'est pas d'époque, et en tant
qu’objet, il n'a pas d'histoire. Or les pièces les plus simples, une vis, un
écrou, un tuyau, peuvent garder la trace des coups de tournevis, de l'outil qui
les a montés, resserrés autrefois. Le cuir craquelé qui offense l’oeil de
certains garde l'empreinte des années d'utilisation et d'entretien par son
propriétaire. Les fils électriques fendillés, certes moins flatteurs qu'un beau
faisceau neuf, sont bien ceux qui ont été montés, soudés, sertis, par les
ouvriers de l'usine Bugatti, Delage ou Ferrari.
A l'évidence, chacun a le droit de préférer le neuf à
l'ancien, mais osera-t-on appeler encore ces objets hybrides d'authentiques véhicules d'époque ?
Cela signifierait qu'on a perdu, à quelque degré,
le sens
des mots et de la valeur des choses : non, une automobile entièrement démontée,
sablée, dont on a remplacé par du neuf des panneaux de caisse, des pièces
telles que visserie, câbles, rondelles, pneus, dont on a regarni l'intérieur de
tissu ou de cuir d’aujourd’hui, qu'on a repeinte, re-chromée, une telle
automobile n'est plus la pièce de collection, authentique, historique qu'on
prétend.
On en a effacé, comme on remet un compteur à zéro, la vie
antérieure. C'est un modèle identique aux spécifications
de l'original, peut-être, mais ce n'est plus tout-à-fait l'original.
On pourrait d'ailleurs, pour rester dans l'objectivité
stricte, mesurer la quantité, le nombre ou la proportion de ce qui a été
réellement fabriqué ou travaillé à l'époque d'un modèle donné : bien des
exemplaires fièrement nickelés perdraient alors beaucoup de leur crédibilité et
de leur valeur (affective, historique, financière). On refabrique, pour
certaines voitures, non seulement les accessoires évoqués ci-dessus, mais même
des pièces de carrosserie, des capotes, des roues, voire des éléments
mécaniques complets...Quelle est la limite, quel critère utiliser pour que les mots "automobile d'époque", "authentique",
"original" gardent un sens ?
Une Bugatti conservée telle qu'à l'origine, aux accessoires vieillis, aux vitres ternies, à la peinture visiblement âgée, à l'intérieur usé, nous apporte miraculeusement un peu d'un passé révolu, cette part inestimable d'un monde enfui, elle a conservé l'empreinte de ceux qui l'ont faite, utilisée, aimée. En se penchant sous son capot, en observant longuement chacune de ses parties, nous revivons son histoire, dont les traces fragiles sont demeurées ineffacées, tangibles.
Hélas, le jet de sable, le pistolet du peintre, les
ciseaux du sellier vont gratter, décaper, couper, détruire ces vestiges
précieux, pour ne garder que la matière première, inerte, mise à nu, et bientôt
recouverte de vernis, pigments, teintes fraîches mais sans valeur. Les vis et
joints impeccables et neufs vont envahir le moindre recoin. Plus un centimètre
carré n'aura échappé à la rénovation : entièrement repeinte, refaite, reconstruite, la voiture mérite-t-elle
encore pleinement le nom d'ancienne ? Pourra-t-on encore parler de restauration, comme on le fait pour un tableau ? Nullement ; il s'agira alors
d'une "remise à neuf", où l'on n'aura pas hésité à changer purement
et simplement tout ce qui doit l'être...
"Changer", ou ne pas changer. Voilà le critère
qui mesure la vraie valeur des
automobiles anciennes. Changer la
peinture, c'est à dire ôter l'ancienne
pour en passer une neuve (même en retrouvant la teinte), changer les accessoires, les pneus, la boulonnerie, le cuir, les
ressorts (même fabriqués selon les cotes), c'est précisément, si les mots ont
un sens, le contraire de conserver
l'ancien élément.
Voilà pourquoi le collectionneur, le connaisseur,
l'investisseur avisé, préfèrent débourser des sommes élevées (voir la vente
Pozzoli) pour l'authentique, et pourquoi certaines "merveilles"
refaites à neuf ne valent pas toujours aujourd'hui le prix des factures de leur
reconstruction.
Alors, que faire ? Ne rien toucher et laisser la rouille
poursuivre ses ravages, la poussière s'accumuler ? Certains sont même allés
jusqu'à reconstituer du "vieux", exposant des voitures délabrées dans
des cabanes en ruines reconstituées, avec de la paille sur les coussins et de
vieux rondins de bois à la place du moteur... Là n'est bien sûr pas la
direction à suivre. Le mauvais état n'est pas à rechercher, encore moins à
accentuer. Au contraire : les pièces de collection idéales, joyaux d'un musée,
sont des automobiles anciennes en excellent état d'entretien, conservées depuis
leur fabrication en condition aussi proche que possible de l'original.
Les conservateurs de musée, ou plus couramment les
connaisseurs, les collectionneurs, placés devant un véhicule nécessitant des
réparations (rouille gagnant du terrain, moteur hors d'usage, nécessitant le
remplacement de certaines pièces) doivent
rechercher systématiquement des éléments d'origine et d'époque, en
évitant toute utilisation de parties
neuves, qui n'ont rien à faire sur un objet historique, dont la valeur repose
sur l'authenticité absolue.
Voilà le sens véritable que la majorité des vrais
passionnés et des professionnels, fuyant le "repeint" et les
reconstructions, donnent à leur amour des automobiles anciennes authentiques.
Voilà le fondement sur lequel repose toute la valeur des plus authentiques
pièces d'une collection. Voilà aussi pourquoi, n'en déplaise aux médias, qui privilégient
les couleurs vives et les chromes éclatants, le temps donnera toujours raison
au vrai contre le
"reconstitué".
Dans cinq, dix ans, quand le spectaculaire sera
redescendu à sa place (avec tout le respect que l'on doit aux artisans qui
réalisent souvent un travail admirable, mais quelque peu en marge de
l’authenticité historique pure), on comprendra pourquoi les plus sensés d'entre
nous ont toujours préféré investir dans des automobiles réellement d'époque,
vraies et sincères, plutôt que dans celles qu'on aura modernisées et
trompeusement refaites..."Refaire" : un mot qui résume tout ce qu'on
peut reprocher à cette conception, où les automobiles qui furent fabriquées
autrefois cèdent la place, lentement mais sûrement, à d'autres, reconstruites
autour d'une base authentique, mais dénaturées, "refaites" - fausses, diront les plus rigoureux
d’entre nous, et donc en définitive et à
la limite sans valeur…
Pour terminer essayons d'éviter tout malentendu en précisant
qu'au long de cet article est analysée la valeur
historique des véhicules, et non pas leur pure valeur marchande à la mise en vente, qui dépend de bien d'autres
facteurs.
Cette valeur historique repose, comme chacun sait, sur l'âge,
la
rareté, l'intérêt technique, et l'histoire particulière de tel exemplaire
pris en compte.
La valeur marchande, elle, dépend tout autant de l'état
de fonctionnement, des possibilités d'usage du véhicule, de ses performances,
etc.
La valeur marchande et la valeur historique sont le plus
souvent confondues, parce qu'elles sont souvent
liées. Mais elles ne le sont pas toujours : une très belle réplique, ou
reconstruction peut certes valoir une somme élevée à l'achat. Mais il y a
peu de chances qu'elle garde, et encore moins augmente sa valeur marchande dans
le temps. Tout simplement parce que sa valeur d'usage (état, performances) ne
peut que diminuer tandis que l'intérêt historique (et donc la valeur) d'une
automobile de collection authentique ne fait qu'augmenter avec le temps (en
dehors des variations à court terme).
Nous espérons que cette étude aidera la majorité à y voir
plus clair, même si les tenants d'un point de vue différent ne manqueront pas
de soulever des arguments.
Posséder une brutale et voluptueuse Aston-Martin Virage,
une divine Diablo roadster, ou se distinguer de tous en pilotant au quotidien
une Pagani C12 S relève pour chaque individu de son tempérament, de sa
conception du bonheur - et peut se révéler aussi tout-à-fait judicieux
comme valeur d’investissement ou de plaisir.
A chacun maintenant de se déterminer en fonction de ses
centres d'intérêt, des ses passions, de son métier. Mais il est à espérer que
tous s'accordent sur le sens des mots et sur la valeur des choses.
Autodrome.